Le XIIème siècle est celui d’une l’Église triomphante, une Église dite « grégorienne » qui doit son nom au pape Grégoire VII (1073 – 1086). La doctrine se fonde sur la lutte contre la dépravation des mœurs. Le corps, « abominable vêtement de l’âme », est diabolisé.
Ce siècle est aussi héritier d’une tendance misogyne bien ancrée dans les esprits : il sera suivi par bien d’autres.
Aux hommes l’espace public, la guerre et le pouvoir. Aux femmes l’espace privé, la maison ou le couvent.
L’Église condamne fermement la « fornication » : la femme devient l’obstacle à la spiritualité, un être dangereux. On la méprise, au même titre que la culture ou tout ce qui peut sembler un divertissement pour l’esprit, et détourner le fidèle de son devoir envers Dieu.
Une austérité totale est prônée par l’ordre des cisterciens, entrainé par Bernard de Clairvaux. Surtout, ne pas se laisser séduire par la femme, cette tentatrice diabolique, et respecter le vœu de chasteté !
Et c’est pourtant une femme, Hildegarde de Bingen, qui va tenir en respect tous ces hommes d’Église, par l’étendue de ses connaissances dans les domaines les plus divers, tout en les scandalisant par sa conception moderne de la sexualité.
Hildegarde naît donc dans un contexte social et religieux peu favorable aux femmes, en 1098. Dixième enfant de ses parents, elle est issue d’une famille de la haute noblesse du Palatinat. Très vite sujette à des visions divines, elle intègre à l’âge de huit ans un couvent bénédictin, comme il en est alors d’usage pour les cadets. Elle prononce ses vœux à l’âge quinze ans, et devient abbesse en 1136.
En 1150, elle fonde sa propre maison monastique, le couvent de Rupertsberg, qu’elle agrandit en 1165 d’un ancien monastère, à Eibingen.
À cette date, la réputation d’Hildegarde est déjà bien établie. Personnage marginal qui intrigue l’Église, elle jouit d’une véritable aura de prophétesse. Les multiples écrits de cette femme hors du commun témoignent de ses connaissances approfondies en sciences naturelles, en alimentation, en hygiène et en médecine. Compositrice, théologienne, critique de son temps mais aussi poétesse, Hildegarde a plus d’une corde à son arc.
Son avis est particulièrement recherché pour toutes les questions touchant à la femme et à son corps. Hildegarde considère que cette-dernière est l’origine de la vie, et elle accorde une place très importante au corps féminin dans ses œuvres.
Et c’est parce que Dieu fut engendré par une femme que la femme est la créature bénie entre toutes.
Très vite, Hildegarde apparaît comme l’interlocutrice privilégiée lorsqu’il s’agit d’en savoir plus sur certains maux typiquement féminins. Nombreuses sont celles qui lui adressent des lettres, pour obtenir son avis sur divers problèmes de santé ou de fertilité… Elle conseille même certains grands hommes de son temps : les papes Eugène III, Anastase IV, Alexandre III, ou encore l’Empereur Barberousse.
Elle reçut ainsi une lettre d’abbés cisterciens de Bourgogne pour savoir si Béatrice, épouse de Frédéric Barberousse, aurait des enfants.